C'est sur cette heure étrange que je voudrais écrire.
Lorsque le saxo pleure dans une cave de Brooklyn et que les ombres se font plus longues que les ombres. Lorsque la pluie et le vent du Nord viennent claquer aux digues de Honfleur. De cette heure où ne dorment ni les poètes, ni les peintres. De cette heure maudite pour les sans-abris du cœur.
Les autres somnolent, paisibles, ou ne dorment pas encore, ou ne dormiront plus ; parce qu'à cette heure précise, ils ont un petit saxophone qui joue, sourdine, en coin du cœur et c'est Brooklyn qui se réveille, le marchand de lait, les bennes à ordures, les gosses qui crient au coin de la rue, les néons qui s'éteignent, les eaux de toilette dans le métro, cocas frappés, marchands de journaux et la routine et la sourdine d'un monde qui n'entend plus le souffle du saxo.
Le saxophone d'Archie Shepp pleure, seul...